Déroute \de.ʁut\
Fig. Perte de contrôle ou instabilité menant à un état difficile à gérer et augurant l’imminence d’une rupture dans le cours des événements.
Le soleil est au zénith. Je scrute chaque panneau en bord de route à la recherche de la terre promise. Les deux mains cramponnées à la barre, les yeux plissés sous la lumière ardente, je me résigne finalement. Je bifurque d’un geste brusque pour m’arrêter sur le bas côté. Sur le capot bleu électrique du vieux combi, j’étale une carte papier maintenant usée par les pliages et dépliages successifs. Tel un explorateur en proie au doute, révisant les distances de son itinéraire si bien calculé, mon index suit des lignes qui ne font sens. Ne jamais perdre de vue le Nord. L’épais trait rouge d’une route pourtant évidente semble se confondre et se mélanger à celui des autres chemins, tel le trait gras et impulsif d’un crayon entre les mains d’un enfant.
La mission paraissait simple : Échapper à la routine, se couper du bruit, se remémorer l’état sauvage, l’instinct primal, oubliant l’électronique et l’invasion technologique, parcourir le Portugal de haut en bas et se laisser guider par cette soif d’aventure. Je prévois le minimum : Un acolyte de voyage, quatre t-shirts, un carnet et une liste d’étapes. Dans un sursaut spontané, je fourre mes affaires dans un sac cabine habitué aux escapades impromptues et je claque la porte. En route !
Nos vies sont bridées par les algorithmes. Il faut prévoir l’imprévisible, éradiquer l’inconnu. Dans un monde meilleur, Siri vous dit quoi revêtir pour affronter les averses de demain, Waze vous évite le chemin de la perdition, Google comble votre ignorance en quelques secondes et Deliveroo prédit le retentissement de votre sonnette… Bon appétit !
A force de vouloir courir trop vite, notre humanité s’évanouit, consumée par la rentabilité. Progrès et régression semblent cohabiter, toujours au détriment de l’autre. Il faut alors repenser nos habitudes, notre mode de vie, nos interactions mais surtout réapprendre l’instinct, la découverte, la spontanéité. Sans ça, notre bonheur devient conditionné, réduit à une équation dont les limites ne font que nourrir notre insatisfaction.
L’imprévisible effraie. On parle même dans certains cas de néophobie, cette peur du nouveau, de la routine brisée. On le sait pourtant, les plus grandes découvertes sont souvent le fruit du hasard, mais le hasard ne tombe pas du ciel, il doit être provoqué, il doit être pourchassé. C’est dans cette soif de curiosité et dans une remise en question perpétuelle, qu’un beau jour, le hasard fait bien les choses.
Dans la nuit du 11 au 12 octobre 1492, Christophe Colomb accoste sur une île de l’archipel des Bahamas, persuadé qu’il a atteint les Indes. Une erreur d’interprétation des mesures faites par Pierre D’Ailly dans son ouvrage intitulé Imago Mundi, pousse Colomb à penser que la circonférence de la terre est de 30.200 Km à l’équateur et de 26.200 Km au 30e parallèle nord qui sera la route empruntée par l’explorateur ; une erreur qui omet 8000 Km et crédibilisera l’expédition auprès de ses investisseurs. Son argumentaire inclura également une autre erreur basée sur l’interprétation littérale d’un texte apocryphe* selon lequel la terre serait faite de 6/7ème de continents pour 1/7ème d’océans. Les connaissances géographiques limitées de l’époque pouvaient donc laisser imaginer un continent asiatique beaucoup plus proche qu’il ne l’est réellement. La monarchie catholique espagnole alors convaincue, la conquête des Indes peut commencer. Colomb n’aura jamais su l’ampleur de sa découverte, persuadé jusqu’à sa mort qu’il avait ouvert une nouvelle route vers l’Asie orientale.
A bord de mon vaisseau des temps modernes, je peine à retrouver ma route. La nuit est tombée. Me voilà encerclé par les arbres qui longent le chemin terreux sur lequel je me suis égaré. Et s’ils voulaient faire de moi leur prisonnier ? Une simple connexion au monde moderne m’aurait permis de retrouver mon chemin dans l’instant, mais je renonce. La nuit est magnifique, la lune suspendue dans cette sombre étendue céleste. L’océan n’est qu’à quelques mètres, alors je me laisse emporter par le son de ces vagues qui s’écrasent inlassablement sur la côte.
La déroute est souvent salvatrice, mais il faut se laisser surprendre, renoncer à tout vouloir maîtriser. Comme le décrit si bien l’iconoclaste et auteur Erwin Raphael McManus, “ La vie est pleine de surprises lorsque nous préférons le mystère à la sécurité. ”
*Deuxième livre d’Esdras, chapitre 6, verset 42
c’est l’ère du « tout organisé » , du « tout sans surprise » de la recherche de l’âme soeur ,en passant par le repas ou le voyage . l’homme a tout prévu , l’aventurier n’existe plus . Et pourtant une vie qui vaut la peine d’être vécue c’est celle qui offre des possibilités inattendues et des rencontres inespérées . Les hauts et les bas ,les évènements ont faits de la mienne une vie bien remplie et pas seulement remplie . s’arrêter dans un endroit inattendu c’est s’offrir une parenthèse de vraie liberté à admirer le ciel et les astres qui y ont été mis .quoi de plus beau que le bruit discret de la nature dans un endroit ou elle semble nous appartenir….
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