Les feuilles craquent sous leurs chaussures telles de pauvres insectes sous le poids des géants. Alain et quelques copains sont allés faire une virée dans le bois, après l’école. Le froid hivernal n’est pas une excuse pour abandonner leur quête d’aventure. Longeant la rivière, une branche à la main comme pour battre la mesure, on échange des blagues, on s’invente un monde. Puis comme tous les garçons, on se défie, on se provoque. Le bonnet rouge subtilisé vole et glisse sur la glace qui s’est formée à la surface du courant d’eau, en contre bas du chemin de fer. Les sourcils se froncent, l’agacement prend place, le ton monte parmi la bande, mais la victime se résigne. Il faut récupérer ce bonnet, sinon c’est la rouste en rentrant à la maison. Le garçon progresse avec hésitation sur la surface verglacée. Là, à bout de bras, les doigts s’étirent jusqu’à effleurer la pièce de laine écarlate. Soudain, un craquement résonne, la glace se fend dans l’écho du silence.
Mon père n’est qu’un jeune adolescent lorsqu’il voit son ami disparaître à tout jamais, englouti dans les eaux glacées. Soixante ans se sont écoulés, mais la tragédie reprend vie dans les yeux humides de mon paternel. C’était l’été dernier.
Pourquoi nos cœurs s’agacent-ils à se souvenir du passé, du drame et de la douleur qui s’y fige ?
Une tragédie comme tant d’autres.
Il y a quelques années, Florent m’avouait avoir dérapé. Le soleil se couche sur les Alpes du Sud. On venait de dévaler les pistes enneigées d’une petite station de ski. Epuisés mais tellement ravis, sur le chemin du retour, il fond en larmes. Il pensait être fort, il voulait attendre, rêvait même de mariage. Son idéal n’est peut être pas commun. Tout le monde couche avec sa copine, non ? Mais ce jour là, son rêve est parti en fumée, consumé en quelques instants.
Théo, lui, est un adolescent que j’ai pu encadrer lors d’une colonie de vacances, dans les Hautes Alpes. Un soir, tous les deux assis dans l’herbe grasse, alors que le crépuscule descend lentement sur les montagnes qui dessinent l’horizon, il me partage son histoire. Son père, il ne l’a jamais connu. Et ce soir là, cette trahison n’a trouvé de forme que dans les larmes qui trempent mon t-shirt blanc. Mes bras deviennent un piètre refuge pour les sanglots de cet adolescent en quête d’identité.
On a beau être des hommes, sous nos masques, les larmes en disent long sur nos peines comme sur nos joies. Derrière la paroi de verre d’un bloc opératoire comme de l’autre côté du parloir, chacune de ces larmes sont le témoignage d’une fracture entre un idéal et l’échec qui nous poursuit. Dans cette lutte perpétuelle entre la vie et la mort, l’amour et la haine, le divin et l’humain, ce monde ne semble pas pouvoir offrir de joies sans nous infliger son lot de peines.
Les larmes de Dieu.
Dans son évangile, Jean, l’un des disciples de Jésus, évoque l’histoire d’une résurrection stupéfiante. Il est question d’un homme appelé Lazare, frère de Marie et Marthe, que Jésus comptait parmi ses proches. Lorsque Lazare décède, tout un cortège de pleureuses accompagne ses sœurs comme le voulait la tradition juive. La situation rappelle une tragédie grecque dont le déroulement ne laisse entrevoir qu’une fin irrévocable, privée de tout espoir. On avait pourtant prévenu Jésus, l’ami du défunt, mais Il ne rejoint la famille endeuillée qu’au bout de quatre jours. Autant vous dire que le cadavre momifié devait empester dans la tombe dans laquelle on l’avait allongé. Au delà du miracle qu’Il s’apprête à opérer, une chose interpelle. Jésus se met à pleurer. Des larmes coulent sur son visage, le cœur envahi par l’émotion. Comment est-ce possible ? N’est-Il pas Dieu ? N’a-t-Il pas guéri l’aveugle et le lépreux ? Pourquoi donc ces larmes ? S’Il connaissait l’issue de ce fait divers bientôt relayé par le bouche-à-oreille local, pourquoi se laisse-t-Il gagner par le tumulte des émotions ?
Si nos cœurs nous poussent parfois à pointer Dieu du doigt, c’est parce qu’ils n’étaient pas destinés à accueillir la peine que l’on subit, comme celle que l’on inflige. Jésus se révèle alors comme un Dieu qui compatit à notre douleur. Ses larmes, ce sont nos larmes, celles qui nous rappellent qu’au delà de nos limites, de notre impuissance face à la tragédie qui nous habite, il y a un monde meilleur, une vie et une vie abondante dont tout le monde peut se saisir.
“ Regardez ! Regardez ! Dieu vient de s’installer dans le voisinage, faisant sa maison parmi les hommes et les femmes ! Ils sont son peuple, Il est leur Dieu. Il sèchera chaque larme de leurs yeux. La mort n’est plus, pour de bon – fini les larmes, fini les pleurs, fini la douleur – les choses d’avant ne sont plus. ” Apocalypse 21:3-5 MSG
des peines qui nous suivent toute notre vie mais notre consolateur est là pour nous réconforter et nous permettre de regarder vers un avenir meilleur. lui qui a tout connu du dédain ,du rejet et des souffrances compatit aux nôtres
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